Le projet pour le site LBP. De très bonnes intentions… basées sur un pari risqué

Comme expliqué dans notre article du 30 mai 2021, l’avenir du site de l’ancienne usine Cuivre et Zinc (aussi connu sous le nom LBP) et de ses alentours se dessine actuellement. Une étude globale (masterplan) a été réalisée par le bureau MSA pour l’ensemble du site LBP et du site voisin de l’ancienne usine Gauder dont les activités industrielles ont cessé en 2019. Sur base de cette étude, la Ville de Liège a débuté le processus pour modifier le Plan de Secteur, de manière à permettre le développement de nouvelles fonctions sur ces sites qui étaient considérés comme des zones strictement industrielles.

Masterplan réalisé par le bureau d’étude MSA, Illustration extraite du dossier de base relatif à la révision du plan de secteur, p. 97. Cliquez pour agrandir – Source: MSA

Parallèlement à cette démarche concernant le Plan de Secteur, une étude sur les incidences environnementales va être lancée très prochainement. Dans ce cadre, une enquête publique est en cours pour permettre à chacun de mettre en évidence des inquiétudes, des propositions ou des points particuliers pour qu’il en soit tenu compte lors de la réalisation de cette étude.

Notre Plateforme a donc analysé le dossier et compte exprimer son avis dans le cadre de cette enquête. En voici un premier résumé.

De très bonnes intentions

Nous pensons que le projet présente de très bonnes intentions parce qu’il permettrait de redonner vie à ce chancre et le transformer en un nouveau quartier accueillant de nombreux logements, à proximité immédiate de la gare, des lignes de bus et du centre commerçant de Chênée, mais aussi de créer de nouveaux espaces verts pour tous les habitants du quartier.

Dans le projet de Masterplan qui guide la demande de modification du Plan de Secteur, nous apprécions particulièrement :

  • les projets d’aménagement permettant de connecter la gare au nouveau quartier puis au parc, à la passerelle et au centre urbain existant, mettant en valeur chacun d’eux ;
  • la zone de parc et au travers de celui-ci la valorisation de la rivière Vesdre (accès à l’eau, berges naturelles et zone inondable) ;
  • la superficie consacrée à l’habitat.

Néanmoins, quelques points nous préoccupent. Nous voudrions développer ici les principaux.

Une majorité d’habitat sur le site Gauder : rêve ou réalité ?

Nous trouvons bien entendu qu’il était très judicieux d’intégrer le site Gauder (+/- 4 hectares, soit +/- 40.000 m2 ) dans la réflexion d’abord initiée uniquement pour le site LBP (7,5 hectares, soit 75.000 m2). Une vue globale et un projet cohérent sur toute cette zone industrielle prend beaucoup plus de sens.

Carte du périmètre étudié (délimité par un trait blanc pointillé) reprenant le site LBP et le site Gauder. (Capture d’écran du document de présentation « Réunion d’information préalable du public pour une révision de plan de secteur », page 9)
Carte de la programmation résidentielle et économique (MSA, dossier p. 105). En rouge l’habitat, en mauve l’activité économique mixte, en vert les parcs et espaces verts. – Source: MSA – Cliquez pour agrandir

L’examen du projet de Masterplan montre que la plus grande partie de la superficie consacrée aux nouveaux logements prendrait place sur le site Gauder tandis que le site LBP accueillerait lui aussi du logement (sur 6.540 m²) mais principalement d’autres fonctions, à savoir une zone d’activité économique mixte de 19.300 m² et une zone de parc.

Plan des emprises au sol sur le site LBP. Capture d’écran du document de présentation “réunion d’information préalable du public pour une révision du Plan de secteur”, p. 28 – Cliquez pour agrandir

Pourquoi une telle répartition ?

Des coûts de dépollution qui dictent les fonctions

Tout s’explique par les contraintes de pollution de sol et les difficultés d’atteindre un niveau de dépollution admissible pour accueillir du logement. Ainsi, la zone d’activité économique prend place là où la pollution est la plus importante, parce que son installation ne nécessite « que » d’atteindre un niveau de type IV. Cette dépollution est en cours actuellement et elle se fait sur base de fonds FEDER octroyés pour cette destination de zone d’activité économique. Quant à la zone de parc, elle ne nécessite elle aussi qu’une dépollution de type IV.

Pour le logement, c’est deux fois plus compliqué puisque le seuil de dépollution est plus élevé et aussi parce que cette destination n’est actuellement pas subsidiée. Les logements (170 seulement) sont donc naturellement implantés là où les contraintes de pollution sont les plus faibles – même si cette logique pose beaucoup de questions.

Plan des zones assainies et des niveaux de pollution et leur légende. Capture d’écran du document de présentation “réunion d’information préalable du public pour une révision du Plan de secteur”, p. 17 – Cliquez pour agrandir

Sur la question de la localisation des logements, un point nous inquiète particulièrement : la promesse faite par le Masterplan de concentrer l’essentiel du logement sur le site Gauder.

Un pari sur une inconnue

A la question posée ce 25 mai 2021 lors de la « réunion d’information préalable du public pour une révision de plan de secteur » de savoir si l’on avait des garanties que le niveau de pollution du site Gauder permette bien d’y faire le logement imaginé, la réponse était sans équivoque : il n’y a à ce stade aucune garantie que cela soit possible car le niveau de pollution du site Gauder n’est pas connu !

On peut espérer qu’une usine spécialisée dans le reconditionnement de machines destinées à la fabrication de câbles électriques (Gauder) a moins pollué son environnement que l’usine métallurgique voisine, spécialisée dans l’utilisation du cuivre et du zinc (C&Z/LBP)… mais nous n’en avons encore aucune certitude aujourd’hui.

Que se passerait-il si le site Gauder ne permettait finalement pas d’accueillir autant de logements que prévu ? Le projet global de réaffectation du site serait-il remis en cause ? Les logements restants prévus sur le site de LBP permettraient-ils de répondre aux exigences légales prévues en matière d’écoquartier ?

Alors pourquoi ?

Pourquoi a-t-on déjà dépollué en partie précédemment et pourquoi poursuit-on par une deuxième phase en ce mois de mai 2021 à des niveaux de dépollution correspondant à un masterplan correspondant lui-même à un projet de modification de Plan de Secteur dont le processus n’en n’est qu’à ses débuts et qui n’est donc pas encore validé ?

Pourquoi entame-t-on ce processus de modification de Plan de Secteur alors qu’il n’existe aucune garantie qu’il soit réaliste sur une importante portion du site ?

Ne serait-on pas en train de faire les choses à l’envers ?

170 logements sur LBP, mais dans quelles conditions ?

Le masterplan n’offre qu’une première ébauche de la manière dont serait organisé le logement.

170 logements sont prévus sur le seul site LBP (7,5 hectare), ce qui représente un ratio de 22,6 logements par hectare. Une proportion qui n’a rien d’extraordinaire dans de tels projets.….

Mais, vu la présence (bienvenue !) d’un grand espace vert central, ces 170 logements sont répartis en 3 immeubles de 80, 45 et 45 logements situés aux extrémités du terrain. Les emprises au sol de ces bâtiments sont respectivement de 2.910, 1.980 et 1.650 m². Les appartements auraient une superficie moyenne un peu inférieure à 100 m2 (selon nos calculs) et le nombre d’étages varierait entre 2 et 6 suivant les bâtiments. Cet agencement des appartements permettra-t-il d’offrir des logements de qualité, attractifs et apaisants ?

Le masterplan n’est pas plus précis en ce qui concerne l’offre de stationnement. Elle semble être de 1 place par logement. Mais où ces places seront-elles disponibles ? En sous-sol ? En rez-de-chaussée ? Comment les accès à ce stationnement seraient-ils prévus pour absorber cette circulation ?

L’ajout de centaines de voitures liées à ce nouveau quartier et le passage de bus à haut niveau de service (BHNS) risquent d’engendrer de sérieux problèmes de mobilité, d’autant plus que le quai devant le site LBP est devenu au fil du temps une voie de délestage très fréquentée aux heures de pointe, pour les habitants de Chênée et des quartiers proches qui veulent éviter les embouteillages du pont et du centre de Chênée. 

Il n’y a pour l’heure aucune réponse claire sur ces points, qui sont pourtant d’une grande importance pour les habitants du quartier.

Carte du système de la voirie. En bleu les voiries automobiles – Source: Dossier MSA, p. 102 – Cliquez pour agrandir

Mobilité : points d’attention et nécessaires connexions

Les intentions du Masterplan présentent de gros atouts en termes de mobilité douce ou partagée. Nous nous en réjouissons. Nous aimerions toutefois que le projet aille quelques pas plus loin.

Moins de voitures

Lors de la « réunion d’information préalable du public pour une révision de plan de secteur » du 25 mai 2021, de nombreux riverains ont exprimé leur inquiétude de voir s’accroître les problèmes de mobilité suite à l’arrivée de nouveaux logements et au déplacement de la voirie. La localisation de ce nouveau quartier (proche de la gare, sur le projet de ligne de Bus à Haut Niveau de service (BHNS), en jonction facile avec le réseau des RAVeL) permettrait d’en faire un quartier exemplaire en terme de mobilité douce, et ce en reconnaissant le faible taux de motorisation des ménages liégeois. (38,6%)!

Taux de motorisation des ménages liégeois et évolution du nombre de cyclistes – Source: PST de la Ville de Liège

Des exemples de quartiers dits « sans voitures » ou encore de logements à stationnement réduit existent à l’étranger depuis une quinzaine d’années déjà [1] et devraient être étudiés à Liège.

Davantage de connexions

Le projet de Masterplan illustre la part belle faite à la mobilité douce, qu’elle soit cycliste ou piétonne.

Cela est une fort bonne chose. Mais des éléments doivent être approfondis.

Carte des déplacements en mode actif (mobilité douce) – Source: MSA, dossier p. 102 – En vert, les modes doux – Cliquez pour agrandir

Si la cohabitation auto-vélo est presqu’impossible à résoudre, il en est de même pour la cohabitation vélo-piéton. Ainsi, si l’on peut se réjouir de la construction d’une passerelle, il faut envisager qu’elle soit empruntée en sécurité à la fois par des piétons et des vélos, peut-être en réservant un espace pour chacun d’eux.

Depuis la création des deux nouvelles passerelles assurant la continuité de la ligne 38 vers le centre de Liège, celle-ci est fortement empruntée. L’étroitesse de l’aménagement actuel le long de la voie de chemin de fer complique la cohabitation. Un élargissement et des séparations seraient sans doute nécessaires pour améliorer les possibilités d’emprunt de cet axe.

Dès la création du nouveau quartier, il est à parier que de nombreux cyclistes empruntant quotidiennement la ligne 38 seront tentés de quitter celle-ci et de la court-circuiter entre la gare de Chênée et la rue Aux Piedroux pour gagner quelques kilomètres. Si cette possibilité est bien pensée, ceci sera bénéfique pour les commerces et la vie du quartier de Chênée. Il convient donc d’étudier les connexions et de prolonger les aménagements cyclo-pédestres dans les rues de Chênée.

Cette approche permettra également de vérifier que l’emplacement projeté pour la nouvelle passerelle est judicieux et qu’il ne manque pas un élément de connexion en faveur de la mobilité douce plus proche de la Nationale N30 et du pont enjambant la Vesdre (peu accueillant pour le piéton et le vélo), comme celui qui existait à l’arrière des commerces Trafic-Aldi et qui a dû être démoli.

Révision du Plan de Secteur ? Oui mais comment assurer mixité et sécurité ?

Qui dit Plan de Secteur dit découpage en « zones ».

En effet, le Plan de Secteur est une carte coloriée en couleurs représentant les affectations définies pour chaque parcelle cadastrale selon les règles définies par le Code de Développement Territorial (CoDT).

Un pôle d’activités économiques compact (en bleu) et des logements (en rouge) en bord de Vesdre – Extrait du dossier de base relatif à la révision du Plan de secteur, p. 95.

Dans certains cas, la zone accueille principalement une fonction mais peut également accueillir d’autres activités pour autant qu’elle ne mette pas en péril la destination principale de la zone et qu’elle soit compatible avec le voisinage. C’est le cas, par exemple, de la zone d’habitat qui peut inclure une activité d’artisanat.

Mais dans d’autres cas, la « mixité » y est moins évidente. C’est le cas de la « zone d’activité économique mixte » malgré son nom. Le CoDT (Art. D.II.29.) prévoit qu’elle soit « destinée aux activités d’artisanat, de service, de distribution, de recherche ou de petite industrie. Les halls et installations de stockage y sont admis. ».

Dans le projet qui nous occupe, la création de cette zone étant guidée par un niveau de dépollution spécifique, moins contraignant que celui à atteindre pour créer de l’habitat, il est possible qu’aucun logement ne puisse être présent dans cette zone.

Cette partie du nouveau quartier risque donc d’être totalement déserte d’occupants dès la fin de la journée jusqu’au matin suivant, cela allant à l’encontre de tous les principes de sécurisation des espaces publics, d’accueil, de vivre ensemble, etc.

Une mixité minimale nous semble indispensable à mettre en place afin de créer de la vie dans cette portion de quartier à tout moment de la journée.

Cela pourrait peut-être passer par la mise en place de logements situés aux étages des activités économiques mixtes, pour autant que l’affectation du plan de secteur le permette.

Toujours au sujet des potentiels sentiments d’insécurité, nous pensons qu’une très grande attention doit être apportée aux aménagements des abords de la gare, du passage sous voies et du parking de dissuasion pour que ceux-ci ne deviennent pas des lieux où les riverains craindraient de passer.

L’espace public étroit enclavé d’une part entre le talus descendant depuis le RAVeL et d’autre part les locaux pour activités économiques semble également être un réel point d’attention en terme de contrôle social.

Nous nous posons également des questions sur la « localisation d’éventuels surplus de terres » évoquée dans le projet de masterplan . S’agit-il de terres polluées à conserver sur le site ? Est-ce bien judicieux ? Comment cela pourrait-il être géré dans le long terme ?

Zoom sur le Masterplan indiquant en point 4 “la localisation pour d’éventuels surplus de terre”. – Source: MSA

Un beau projet à asseoir sur des bases plus solides

En conclusion, même si nous trouvons que ce projet a beaucoup d’atouts et que son avenir passe peut-être par cette modification de Plan de Secteur, nous sommes inquiets de le voir reposer sur une série d’inconnues qui pourraient se révéler fatales à ses belles ambitions. En 2021, peut-on encore décemment s’engager dans un projet de cette importance sur base d’un raisonnement construit à l’envers (« On dépollue une partie à vue de nez puis on verra pour le reste si ça passe) et sous la contrainte (« On met ça là parce qu’on n’a pas d’autre choix ») ?


[1] Des exemples de projets de “Quartiers sans voitures” / “Habitat à stationnement réduit” peuvent être consultés aux adresses suivantes :

Plateforme Habitat à stationnement réduit (anciennement Plateforme habitat à mobilité durable)

– Article “L’habitat sans voiture en marche dans les villes suisses” – www.mobileservice.ch

– Habitat à stationnement réduit – Compte rendu du séminaire de l’ATE du 28 mars 2019

– Association Rue de l’avenir / Quartiers sans voitures – www.rue-avenir.ch

– Article: “Ceux qui vivent dans des quartiers sans voiture ont choisi de bougerautrement, tout en bénéficiant des avantages offerts par les centres-villes” – www.efficience21.ch

– Article: “Un quartier sans voitures, est-ce vraiment possible?” – www.mubw.be