Le château des Bruyères, partie 1

De la ferme fortifiée à la maison de plaisance (16– 18e siècle)

Vous êtes sans doute déjà passé devant ce château sans l’avoir regardé. Peut-être aviez-vous le cœur serré de venir saluer une personne hospitalisée qui vous est chère, le cœur stressé de vous rendre à un examen médical ou au contraire le cœur heureux de rencontrer un nouveau-né. Nous espérons que, la prochaine fois, vous pourrez prendre le temps de vous attarder dans ce site pour découvrir combien ce château et ses abords sont remarquables et comment les illustres personnes qui y ont vécu ont marqué l’histoire de la région.

Deux châteaux, aux noms changeants, dans un même domaine

Deux châteaux, qui portèrent chacun plusieurs noms et qui appartiennent au même domaine, il y a sacrément de quoi s’emmêler.

Le château indiqué par la flèche de droite sur la photographie de 1971 ci-dessous s’appelle maintenant le « château des Bruyères » mais il n’a porté ce nom qu’à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Avant, il se nommait « château de Gaillarmont » ou était parfois désigné sous le vocable « château-ferme du Chabot ».

Pour tout compliquer, un autre château était présent dans ce vaste domaine qui n’a été divisé qu’en 1803. Il était situé un peu plus à l’ouest, plus bas le long de l’actuelle rue de Gaillarmont (à l’endroit des actuels n°519/521). Cet autre château, indiqué par la flèche de gauche, s’appelait aussi « château de Gaillarmont ». Il faisait face à la ferme « Maquet ». Vous ne pourrez plus voir ni ce château ni cette ferme car ils ont malheureusement été démolis en 1976. Vous pouvez toutefois retrouver une description de ce château, que nous avons choisi d’appeler « château de Gaillarmont » dans un autre article consultable via ce lien.

Les premiers occupants

Les origines du futur château des Bruyères sont inconnues. La première mention de son existence remonte à la fin du 16ème siècle. Mais il devait exister depuis bien plus longtemps et avoir déjà atteint une certaine opulence, si on en juge par la richesse de la famille qui en est alors propriétaire, les de Geer de Gaillarmont. Toutefois, il n’est pas encore question de château, juste d’une importante ferme fortifiée flanquée de tours d’où l’observation des alentours est aisée.

C’est dans cette demeure que naît en 1587 Louis de GEER. Son père, lui aussi prénommé Louis, était un homme d’affaires aisé qui a émigré vers la Hollande en 1595 et est devenu rapidement un riche banquier à Dordrecht jusqu’à sa mort en 1602. Louis fils s’installe alors à Amsterdam et devient un riche industriel, actif dans le commerce des armes et dans la métallurgie naissante. Pour développer cette activité, il se tourne vers la Suède où il emmène de nombreuses familles d’ouvriers métallurgistes de Liège, Huy et Namur.

Les de Geer ne conservent leur domaine de Gaillarmont que quelques années après leur exil. A la mort de Louis père en 1602, le domaine est vendu à un parent, Adrien de Geer. Ensuite, plusieurs familles s’y succèdent : la famille des barons de NOLLET d’abord, puis, à la fin du 17ème siècle, Monsieur de VIVIER (dont on peut voir le nom et les armes au plafond de l’église de Cornillon), qui le transmet à son gendre, Monsieur le Conseiller Charles Servais D’ANDRIESSENS.

Une description « délicieuse » et des documents parlants

C’est au moment où Charles Servais D’ANDRIESSENS y réside que l’écrivain et grand voyageur Pierre-Lambert de Saumery décrit la propriété, appelée alors « maison de plaisance à Gaillarmont » dans les célèbres « Délices du Pays de Liège » parus entre 1738 et 1744 (tome 3 pp. 271-272). Ce texte est si « délicieux » que nous vous en faisons part intégralement en l’accompagnant, comme dans l’édition originale de la gravure de Remacle Leloup. Nous joignons également l’extrait de la carte de Ferraris, qui sera dessinée vers 1777 et correspond à la situation de l’époque.

Gravure de Remacle Leloup cerca 1738
Extrait de la carte de Ferraris de 1777

« Entre les avantages de la situation d’une Maison de campagne, il n’est presque personne qui ne fasse un cas particulier de la beauté du coup d’œil. La solitude et le repos qu’on va chercher dans ces retraites, nous deviendraient bientôt insipides et ennuyeux, si la nature vigilante, n’y faisait naître, sous nos pas, des plaisirs inconnus dans les Villes. La Chasse, la Pêche, l’écho, qui, dans les Bois, semble augmenter les agréments d’une belle voix, tout cela peut remplir délicieusement bien des moments oisifs ; mais, il n’est point à la Campagne d’amusement plus fréquent et plus généralement goûté que la promenade. C’est là principalement qu’un esprit fatigué des affaires se dédommage de ses veilles, en permettant à son imagination de se promener sur mille objets qui l’amusent.

Quelque fertile que soit le Pays de Liège en situations propres à procurer cette satisfaction, il n’y en a, sans contredit, presqu’aucune qui l’emporte sur celle de Gaillarmont, tant par la beauté des objets que par leur diversité et cet arrangement bizarre, qui l’emporte sur la plus scrupuleuse symétrie.

Cette agréable Maison, éloignée d’une lieue de la Ville de Liège, est située à une petite distance du grand chemin qui mène à Verviers. Le terrain de ce Canton inégal, et partagé par plusieurs Monticules, s’élève en amphithéâtre et fait de tous ces Promenoirs autant de belvédères inimitables. Enfin, l’exposition de cette Maison est si avantageuse, que ses Appartements les plus bas, jouissent d’un coup d’œil que rien ne borne. D’un côté la Meuse y présente cette longue suite de beaux Châteaux qui bordent son lit : la Ville de Liège, qui semble en quelques endroits sortir du sein des eaux, partage cette riche Avenue, qui n’a guère moins de huit lieues d’étendue ; puisqu’on d’un côté les hauteurs de Maastricht, et qu’on peut promener sa vue sur ce brillant Rivage jusqu’à l’autre côté de la Ville de Liège, et à plus de moitié chemin de cette dernière à celle de Huy. Le bizarre assemblage d’une foule de Rochers arides et de fertiles Vallons, forme un contraste des plus amusants ; mais comme si cette diversité ne suffisait pas, d’un autre côté les cours de la Rivière d’Ourthe offrent aux yeux un paysage moins brillant et plus solitaire ; ici un tas de Montagnes amoncelées ne laissent voir qu’un taillis long et épais ; là les Montagnes marécageuses de l’Ardenne donnent, par leurs frimats et leur nudité, l’idée d’un désert inculte et sauvage ; ailleurs des fertiles Prairies font naître une idée toute opposée, et font regarder ces lieux comme solitude agréable, qu’on est tenté de voir de plus près.

La Maison de Gaillarmont, quoique anciennement bâtie, ne laisse pas d’avoir des agréments particuliers. Placée entre quatre Vergers, dans une belle exposition, ses Bâtiments, d’où s’élèvent deux Tours, lui donnent l’air d’un Château. Les logements, peu réguliers à la vérité, ne laissent pas d’être commodes et assez nombreux : ils sont adossés du côté du Midi à un beau jardin, séparé en trois Terrasses, et orné de Berceaux d’Ifs, taillés en pyramides, et d’Arbres nains, couronnés des plus beaux fruits. De là on passe par une Allée de Maronniers à un Bois taillis, situé sur la pente de la Montagne, qui termine un petit Ruisseau, dont le gazouillement invite à goûter les douceurs du repos, ou fait naître d’agréables rêveries.

Quoique l’élévation de ce lieu semble devoir y rendre l’eau extrêmement rare, on y voit cependant une Fontaine assez abondante pour remplir deux Viviers, qu’on a pratiqué dans le voisinage du Corps de logis : une large Digue, plantée d’arbres, qui les sépare, forme en ce lieu un agréable Promenoir, dont les extrémités aboutissent à deux jolis Berceaux, d’où la vue s’étend bien loin. »

La division du domaine en 1803

Le Conseiller Charles Servais D’ANDRIESSENS cède la place à son fils Gilles-François D’ANDRIESSENS qui la transmet à son propre fils Jean-Pierre-Rudolphe D’ANDRIESSENS. Nous sommes alors en 1803 et c’est ce dernier qui scinde le domaine.

L’autre « château de Gaillarmont » devient la propriété de Marie-Hélène-Henriette d’Ancion de Ville. Quant au « château-ferme du Chabot » avec ses 27 hectares, il est vendu à Pierre-Jean LONHIENNE, négociant à Liège, qui le revend à son tour vers 1820 au baron Nicolas-Antoine de FAVEREAU.

C’est le fils de celui-ci, Paul-Joseph-Célestin de FAVEREAU, qui est propriétaire du domaine en 1841, comme en attestent les documents de l’Atlas des Chemins Vicinaux, et qui lance la vague de grands travaux qui vont transformer l’ancienne ferme-château en un véritable château.

Extrait de l’Atlas des Chemins Vicinaux de 1841

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