Patrimoine, partie 2

A la découverte du patrimoine du parc du Ry-Ponet

Entamée à la Ferme du père Lejeune, située à la limite de la zone densément bâtie de Chênée, la promenade à travers le parc du Ry-Ponet [1], décrite dans le précédent numéro de la Chronique nous a menés, de landes en bosquets et de terres agricoles en prairies, sur la crête qui domine la vallée de la Vesdre et qui sépare le vallon du ruisseau du Bois de Beyne au sud de celui du Ry-Ponet au nord. De cette crête s’offre un vaste panorama où le regard embrasse successivement le village de Romsée, le bois de Beyne, la basilique de Chèvremont, Chaudfontaine, Beaufays, Embourg, Mehagne et Chênée que nous avons laissé derrière nous lors de la dernière montée. De la vallée de la Vesdre, le regard passe ensuite à celle de l’Ourthe et même au loin à celle de la Meuse.

Le promeneur se trouve ici quasiment au centre d’un site verdoyant de plus de 350 hectares miraculeusement épargné par l’urbanisation dense survenue suite au développement industriel, et plus particulièrement minier, dans les communes voisines de Liège, Beyne-Heusay et Fléron. C’est une poche de verdure au centre de noyaux urbains qui se sont progressivement développés jusqu’à se toucher et ont laissé en leur centre ce paysage !

La ferme Sainte-Anne

La crête où nous nous trouvons portait autrefois le nom de colline de Bouharmont. Outre la Chapelle Sainte-Anne, construite à la fin du 19e siècle, évoquée dans la précédente Chronique, et la grande croix celtique plus récente qui la jouxte, le regard accroche immédiatement l’imposante (750 m2) construction en U qui domine la colline et s’aperçoit aussi bien depuis le site de la clinique Notre-Dame des Bruyères (CHU) que du sommet de la colline de Streupas sur le versant de l’Ourthe ou encore de la gare des Guillemins.

Cette ferme portait autrefois le nom de Bouharmont. Son existence est déjà signalée au 15ème siècle comme faisant partie des « Biens et héritages de Petit Beyne (appellation d’origine du château de Neufcour) et de Bouharmont », sujet qui sera développé dans le paragraphe consacré à ce château. La dénomination de Sainte-Anne est plus récente et renvoie probablement plus à la toponymie qu’à la proximité de la chapelle. En effet, dans un acte de vente de bois daté de 1783, donc antérieur à l’érection en 1794 du petit monument à Sainte-Anne d’Auray, on lit qu’ « ils ont été prélevés au Bois Sainte-Anne » près de la ferme [2]. La bâtisse actuelle, historiquement liée à Neufcour, ne date évidemment pas du 15ème siècle mais a été reconstruite, dans sa forme actuelle, en 1919 après un important incendie.

La ferme a été louée via un bail à ferme jusque dans la moitié des années 90 puis acquise par une société anversoise. Consciente de sa valeur symbolique et paysagère, la Plateforme Ry-Ponet, qui s’est créée en 2015 avec l’ambition de préserver l’ensemble de ce site, met tout en œuvre pour l’acquérir. Son but est d’y installer un point d’accueil pour les promeneurs mettant en valeur le parc (faune, flore, sentiers, endroits remarquables, paysages,…), d’y développer une activité de maraîchage biologique en circuit court et à terme d’y animer une ferme pédagogique et des classes vertes.

Nous poursuivons notre périple en remontant la rue Sainte-Anne en direction du centre de Beyne-Heusay. Après avoir laissé à droite un chemin de terre qui dévale à travers le bois de Beyne vers le hameau de Haute Ransy (Vaux sous Chèvremont), nous arrivons à l’ancienne gare de Beyne à l’architecture typique des gares construites sur la ligne ferroviaire qui reliait Chênée à Verviers (ce bâtiment abrite aujourd’hui plusieurs services communaux).

Nous bifurquons à gauche dans la rue Neufcour (interdite à la circulation automobile) qui longe le Ravel et c’est l’étonnement.

Le château de Neufcour

Au bout d’une drève de marronniers se dresse une bâtisse de style liégeois du 17ème siècle, fortement remaniée, au milieu d’un vaste domaine de 72 hectares resté par contre quasi-identique depuis l’origine, si ce n’est deux expropriations, l’une pour le passage du chemin de fer (l’ancienne ligne 38) et l’autre pour la construction d’un lycée d’Etat (qui a été rasé il y a quelques années).

Il s’agit du château de Neufcour, dont la ferme Sainte-Anne dépendait encore au siècle précédent.

L’existence d’une demeure seigneuriale à cet emplacement est déjà mentionnée au 15ème siècle. Un jugement de la cour de Jupille de 1478 fait état des « héritages, court, maison, jardins, cortil, prés, bois et trixhe nommés petite Beyne et Béharmont » [3] qui ont appartenu à un certain Hurkin de Barxhon.

Au cours des siècles et des conflits qui se sont déroulés sur ces terres, cette demeure a été dévastée, incendiée, pillée et chaque fois  reconstruite. Elle était entourée d’un fossé qui a été comblé après un incendie. Certains murs d’une épaisseur d’un mètre ont défié le temps et les avanies.

C’est au 17ème siècle qu’elle acquiert son aspect actuel grâce à Lambert de Neufcour, nouveau propriétaire qui achète l’entièreté du domaine à la famille de Barxhon et donne son nom à la nouvelle construction érigée entre 1661 et 1663.

Dès cette époque, le château est lié à l’exploitation de la houille qui affleure à maints endroits sur le domaine. Des accords sont conclus avec des « comparchonniers [4] » pour commencer  l’exploitation en sous-sol et construire les infrastructures nécessaires (puits, exhaure…).

Le château et le domaine englobant toujours Bouharmont restent dans la famille de Neufcour jusque 1722. Pour sortir d’indivision, des héritiers cèdent alors leurs droits à Guillaume de Stembier, un ami de la famille, échevin à Liège. Ses descendants occupent le château pendant plus d’un siècle. En 1871, le domaine est vendu dans son entièreté, y compris la cense de Bouharmont, à Charles de Longrée qui n’y réside pas ou peu. C’est en 1915 que la société des charbonnages de Werister acquiert le domaine et le château entretemps fort dégradé. « L’état actuel  du bâtiment résulte en partie des restaurations entreprises à partir de 1915 par Noël Dessard, directeur de la société qui a occupé les lieux. Malgré de nombreux remaniements, le corps de logis conserve au nord une belle tour carrée, élevée sur glacis en moellons de grès et datée par encres 1663. ….De section carrée, la haute-tour porche en brique à bandeaux de calcaire, percée d’un portail cintré, donne accès à  une cour fermée au nord-est par le corps de logis ; au sud et à l’ouest par une aile de dépendance en U » [5].  La propriété appartient depuis 1986 à Monsieur Philippe Ralet. Signe de modernité et de mondialisation, le  drapeau de Corée du Sud  que l’on voit flotter signale la présence en ces murs ancestraux du consulat de la République de Corée du Sud !

La rue de Neufcour se termine peu après le château et nous prenons la courte rampe de descente sur la droite qui nous permet de revenir sur le RAVeL sur lequel nous nous engageons en direction de Grivegnée et du château des Bruyères.

La ligne 38, un siècle d’histoire ferroviaire

Avant de devenir ce RAVeL grandement apprécié par les promeneurs qui le parcourent en tous sens, cette voie a été un témoin important de l’histoire industrielle de la région [6]. C’est en effet au milieu du 19ème siècle qu’est prise la décision de relier Liège à Verviers en passant par le pays de Herve et ses charbonnages. La première concession entre Vaux-sous-Chèvremont et Verviers (en passant par Chênée, Beyne, Fléron et Herve) est octroyée en 1869. En 1873, une prolongation vers Plombières (et ses gisements de métaux non ferreux) et l’Allemagne est décidée mais la réalisation effective n’aura lieu que vingt ans plus tard du fait de l’opposition de deux groupes d’intérêt, les charbonnages liégeois (qui craignaient la concurrence des charbonnages du pays de Herve) et l’armée (méfiante vis-à-vis de cette ouverture vers l’Allemagne).

Mais la réalisation du tronçon initial de cette liaison s’avère être un vrai casse-tête : entre Chênée et Beyne Heusay, le dénivelé est de 172 mètres (on passe d’une altitude de 70 mètres à 235 mètres pour une distance à vol d’oiseau de 3 kilomètres). En ligne directe, la pente fait en moyenne 21% ! Pour contourner la difficulté, la ligne du chemin de fer doit donc suivre une longue courbe en pente douce qui passe à travers Chênée et Grivegnée avant de rejoindre Beyne-Heusay et s’étend sur 9 km. Ceci explique que la ligne traverse de nombreuses routes à des passages à niveau aujourd’hui disparus mais qui restent matérialisés dans le paysage par les maisons garde-barrière.

Cette première section est néanmoins ouverte rapidement au trafic de marchandises en 1872 et aux voyageurs en 1873. Elle est connectée à de nombreux raccordements privés menant à des sites industriels, en particulier les dizaines de charbonnages qui jalonnent cette voie. Pendant près d’un siècle, cette liaison entre Liège, Verviers et l’Allemagne est  un maillon important du réseau ferroviaire industriel de la région.

Le déclin de l’activité industrielle, et surtout la fermeture des charbonnages, entraîne celui de l’activité ferroviaire sur la ligne 38. Le transport de voyageurs est abandonné en 1957 (il se faisait jusque là en autorail, sorte de train-tramway avec arrêts facultatifs qu’il fallait signaler à l’avance). Les rails servent désormais uniquement au trafic de marchandises entre Chênée et Battice. Le transport de marchandises dure encore près de trente ans jusqu’à ce que la ligne soit définitvement mise hors service en 1985. Le dernier passage d’un train de ramassage du matériel ferroviaire a lieu le 3 janvier 1986. Après le démontage des rails, le tracé de 40 km de la ligne 38 est laissé à l’abandon. Ce n’est qu’en 1995 qu’il est en partie introduit dans le programme RAVeL de la Région wallonne. Diverses traces du patrimoine ferroviaire subsistent le long du tracé, en particulier les bornes kilométriques.

Cette promenade dans le passé, jalonnée de quelques beaux panoramas sur l’intérieur du site du Ry-Ponet, nous amène au lieu-dit « Sur l’île » à la limite de Beyne-Heusay et Liège où nous quittons le Ravel. Un court trajet dans les tranquilles petites rues Bois-Gueau et Sous-l’Ile et nous voici sur le parking du CHU des Bruyères, à proximité d’un château qui a lui aussi une longue et riche histoire… dont nous vous parlerons dans le troisième et dernier volet de cet article.

Découvrez ici l’article en version digitale.

[1] La dénomination Ry-Ponet est récente : on la doit à l’ASBL urbAgora dans son étude intitulée « Pour un grand parc métropolitain à l’Est de Liège » ( 2014) qui a proposé de sauvegarder ce vaste site sous un statut de parc et lui a donné le nom de « parc du Ry-Ponet » d’après le nom d’un des ruisseaux qui le parcourt.

[2] Jean LEJEUNE, Jean HOYOUX, Ed RENARD, Toponymie de la commune de Beyne- Heusay, Annuaire d’histoire liégeoise, 1956, n°24, tome V, fascicule 4, pages 803 à 808 repris par P. GUERIN dans « Le Domaine de Neufcour à Beyne-Heusay ».

[3] Archives de l’Etat citées par Paul GUERIN dans « Le domaine de Neufcour à Beyne Heusay », publication BelairPictures, José Delhez.

[4] Dans l’Ancien Régime le sous- sol appartenait aux propriétaires. Ils étaient donc obligés de conclure des accords pour exploiter une veine qui passait sous plusieurs parcelles ( les « parchons »).

[5] Nathalie de Harlez de Deulin et Serge Delsemme, “Parcs et jardins historiques de Wallonie”, inventaires thématiques, Vol. 4 (Province de Liège, Arrondissements de Liège et Verviers), Ministère de la région wallonne, Division du patrimoine DGATLP, 2001).

[6] Le Beau Vélo de RAVeL 2019, Topoguide, Renaissance du livre, pp.172-173.

A suivre …


Un article extrait de “La Chronique de la Société Royale Le Vieux-Liège”
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